Mystères…

Jack l’éventreur et Xavier Dupont de Ligonnès

J’aime rappeler cette histoire d’un homme qui cherche ses clefs sous un réverbère. Un autre homme s’approche et l’aide à chercher. Une heure durant. En vain. C’est alors que le deuxième homme s’étonne:

– Vous êtes sûr d’avoir perdu vos clefs ici ?

– Non, en fait je les ai perdues près de chez moi, mais dans ma rue, il n’y a pas de réverbère….

Pourquoi commencer ce billet de la sorte ? Pourquoi quelqu’un qui étudie Jack l’Eventreur depuis fort longtemps en vient il soudain à regarder du côté de Dupont de Ligonnès ?

Assurément il y a des similitude entre les deux hommes :

– Les deux sont des assassins multirécidivistes (tueur en série pour l’un, tueur de masse pour l’autre)

– Les deux sont intelligents, manipulateurs, sans doute mythomanes et ils préméditent leurs crimes.

-Les deux sont animés par un sens moral intégriste dévoyé : Jack tue des prostituées, XDDL fréquente des milieux intégristes moralistes sectaires comme sa soeur et sa mère mais il est notoirement infidèle et aime les aventures libertines occultes.

– Les deux profitent sans doute de soutiens logistiques efficaces pour commettre les crimes et disparaître.

– Les deux n’ont sans doute pas agi seuls d’un bout à l’autre du processus criminel .

– Les deux disparaissent mystérieusement en utilisant des misdirections ( comme les magiciens qui incitent à regarder la main droite pendant qu’ils vous volent votre montre de la main gauche)

– Dans les deux cas, il y a une utilisation habile des medias, lesquels diluent et compliquent le travail des enquêteurs (à l’époque de Jack , ce sont des milliers de lettres anonymes signées « Jack l’éventreur » et publiées dans la presse qui dispersent les enquêteurs, avec XDDL c’est Netflix, Society, internet, Youtube, Facebook, les réseaux sociaux qui partent de tous les côtés … )

– Dans les deux cas les crimes s’arrêtent (peut-être) avec une « évaporation du tueur » : il disparaît sans laisser de traces et on le cherche très loin , à distance . Dans les deux cas on suit, par exemple, une piste américaine.

– Dans les deux cas, on part dans tous les sens et on arrête avec grand tapage des innocents qui ont le malheur de ressembler de près ou de loin au tueur.

Une différence notable cependant : on sait qui est XDDL (on connait son nom, son visage, mais fort peu de choses en fait de l’homme d’où le mystère) . En revanche le « Qui » obsède au niveau de Jack alors que ça ne devrait pas être la question prioritaire.

– Dans les deux cas, le temps semble être une composante de l’énigme.

En fait, dans les deux cas, on a beaucoup cherché, on a beaucoup supposé mais presque toujours en scrutant le sol sous le même réverbère allumé. Or je pense que pour résoudre les deux énigmes, il faut absolument regarder autrement, réfléchir autrement, se poser les questions que personne ne se pose et revenir sur les faits bruts, précis, démediatisés …

Dans le cas de Jack on n’a cessé de se focaliser sur le QUI : « Qui est Jack » ? Et on a souvent découpé les pièces du puzzle pour les faire entrer dans le schéma .Dans le cas de XDDL c’est le « Où  » qui obsède : où est le fugitif ? où se cache-t-il depuis si longtemps ?

Bref on regarde sans cesse sous le même réverbère et on tourne en rond.Or dans les deux cas, c’est le « Comment  » et le « Pourquoi » qui sont les plus importants .

Comment Jack a-t-il tué ? Techniquement , concrètement, en reprenant les dossiers d’autopsie, en faisant des reconstitutions méticuleuses, en analysant, en déduisant , on remarque que la plupart des enquêtes éludent voire se trompent sur ce point . Qui se souvient par exemple que, contrairement à l’idée reçue, la plupart des victimes de Jack n’ont pas été attaquées de face mais égorgées par derrière ! Elles ont été éventrées au sol, dans le noir : mais comment éventre-t-on dans le noir en prélevant des organes avec une précision chirurgicale ? Voilà la vraie question !

Pour XDDL : L’homme s’est évaporé dans la nature … Soit ! Mais le « Où » est sans importance si vous ne cherchez pas le « Comment ». Comment disparaître sans laisser de traces ? Comment passer les frontières sans jamais croiser un douanier ou un policier ? Comment voyager en échappant à tout contrôle de police ? Où se réfugier à l’abri des regards qui peuvent sans cesse se poser sur vous ? Comment circuler sans prendre l’avion, le train, la voiture ? Sans utiliser d’hôtel, de gîte, de Airbnb, de location d’aucune sorte ? Comme l’écrit Conan Doyle, dans Sherlock Holmes : « Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité. « 

Pour Dupont de Ligonnès, la solution est sous nos yeux, depuis le début, mais nous nous sommes obstinés à regarder la main droite du magicien, qui est un maître de la tromperie, au lieu de regarder ailleurs et autrement …

Vous me suivez ? …

BC Le 30 Août 2020

vec Jack l’éventreur on est obligé de faire la part entre :

  • Le Mythe qui s’est construit dès 1888 grâce aux journaux , aux rumeurs, aux lettres anonymes puis grâce aux milliers d’ouvrages écrits sur le sujet ( études ou romans) , grâce aux films, à la BD, à la télévision, aux arts graphiques et même aux jeux video…
  • Les spéculations, intuitions, hypothèses tantôt inspirées tantôt très fantaisistes qui ont fini par devenir des « vérités » plus ou moins admises : le nombre de victimes de Jack ( on admet couramment les 5 victimes canoniques mais la police londinienne ajoute aussi Tabram et il existe au minimum 13 autres victimes potentiellement imputables à Jack dont une aux USA ! ) est l’un de ces postulats. Et bien évidemment il y a ces multiples ouvrages qui prétendent tous tenir la dernière pièce du puzzle mais se contentent de travailler exclusivement à charge sans enquêter aussi à décharge : c’est Sickert , à coup sûr, pour Patricia Cornwell, Mac Naugthen , avec la même assurance, pour Sophie Herfort , Maybrick, William Gull, Kosminski… pour d’autres. Je ne dis pas que ces pistes soient sans intérêt même si je tends à sourire quand on tente de découper les pièces de puzzle avec des ciseaux pour les faires entrer dans une case. A mes yeux une hypothèse reste une hypothèse, même passionnante, tant qu’on ne l’a pas prouvée de manière irréfutable , c’est ma manie de professeur chercheur curieux souvent fantaisiste mais pragmatique.
  • Enfin, il y a les données objectives et dans le cas de Jack, il n’y en a pas tant que cela : les dossiers d’autopsie qui sont parfois contradictoires … les procès verbaux d’enquêtes mais beaucoup ont disparu, les témoignages humains mais il y en a fort peu ( à peine qatre potentiellement exploitables pour les cinq cas canoniques plus Tabram ) et l’on sait bien en criminologie toute la fragilité du témoignage humain … justement parce qu’il est humain ! Très peu d’éléments tangibles donc car il faut reconnaître que les méthodes d’investigation de 1888 relèvent moins de Sherlock Holmes et d’hercule Poirot que de l’inspecteur Clouzot: les policiers ne sont pas formés à l’investigation criminelle, bien souvent les corps sont enlevés par la morgue avant l’arrivée des enquêteurs gradés, pas de photos des scènes de crimes ( sauf pour Kelly), aucune reconstitution in situ afin de comprendre le mode opératoire, les seuls croquis des scènes de crime sont ceux griffonnés par certains legistes mais ils restent sommaires et se focalisent sur les corps. Or dans le cas d’Eddowes et Chapman il ya a des mises en scènes des objets personnels qui sont interessantes. Dans le cas de kelly quelques clichés du corps dans sa globalité mais pas des organes placés sous les pieds ou la tête à la manière de petits « oreillers » , pas de photos de la chambre, de la cheminée, de la chaise… On est encore loin évidemment de la dactyloscopie (empreintes digitales) qui ne sera explotée qu’au début du XXe siècle. Pas encore de prise de température des corps pour évaluer l’heure de la mort, pas de prise en compte des pétéchies et des projections de sang… Bref , à l’époque, un enquêteur ne dispose que de peu d’outils : le témoignage humain, la dénonciation, le flagrant délit… ou la chance ! Aujourd’hui, prétendre éclaircir , objectivement, le mystère avec l’aide de la science moderne n’est guère pertinent comme on l’a vu avec l’histoire de l’adn sur le prétendu châle d’Eddowes : objets mal conservés, manipulés sans précautions, adn tronqué ou corrompu , source des pièce peu fiable … Pour le moment les données objectives exploitables sont assez limitées et il est peu probable ( mais toujours possible) qu’une pièce du puzzle providentielle apparaisse au fond d’un tiroir.

    Bref, pour le chercheur la seule façon d’avancer consiste à regarder là où peu de gens voire personne n’a regardé : le mode opératoire par exemple est plus intéressant que l’identité de Jack : qui se souvient que Chapman, Eddowes et Stride ont été égorgées de dos avant pour Eddowes et Chapman d’être charcutées. Kelly a été égorgée de face pour sa part et directement sur le lit allongée alors que toutes les autres ont été tuées debout. Que peut-on en tirer ? Quand Chapman et Eddowes ont été éventrées comment Jack a-t-il fait pour y voir clair afin de prélever des organes ( toutes les scènes de crimes sont très obscures et isolées) ? Même un barbier ou un chirurgien a besoin de lumière pour opérer… Comment Jack a-t-il choisi ses victimes ? Au hasard ou après les avoir repérées ? A-t-on suivi la piste maritime ( celle d’un marin ou d’un militaire sur bateau) ? Pourquoi toutes les victimes ont été agressées dans la rue mais Tabram sur un palier d’immeuble et Kelly dans sa chambre ( Comme Carrie Brown aux USA) . Y -a-t-il dautres crimes analogues après Kelly ailleurs en Europe ou dans le monde ( on m’a parlé de prostituées égorgées et éventrées au Nicaragua et en Jamaïque en 1889-1890 mais il faudrait vérifier sur place… )

Bonne recherche à tous !Ci dessous un croquis de Catherine Eddowes fait par le légiste


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