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Julie-Anne De Sée a voyagé sur « La Médée »

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Un flic, pugnace, coriace et peu loquace. Un gendarme ripoux qui ne l’emportera pas au paradis. Des femmes : épouses trop sages, l’une bafouée devenue veuve charmante pas vraiment éplorée, une hôtesse accorte, une éclusière scrupuleuse. Un étrange journaliste, au look improbable, mâtiné de Frédérick Lemaître (Pierre Brasseur) dans Les Enfants du Paradis. Des crimes, abominables : des enfants sont enlevés et tués. Des parents, injustement désignés coupables après un simulacre d’enquête bâclée par les gendarmes, sur fond de racisme des années 60. Un petit Poucet, qui sème des pièces sur son macabre chemin, mais qui se fait ogre. Un chien. Une péniche, la bien nommée Médée, cette amoureuse de Jason à la vengeance infanticide, qui a tant inspiré les artistes, et son marinier, Vermeer, qui fait corps avec elle.

La navigation en toile de fond, lente, précise, sur les canaux qui sillonnent la France, du midi au nord, jusqu’en Belgique, en Allemagne, aux Pays Bas. Le décor du « monde d’à terre » (sic) où se jouent les drames ? Le Nord, un village du Pas-de-Calais, la côte d’Opale. En ces années là, on y vit chichement, on boit souvent, souvent trop, tandis que vent et pluie tourbillonnent, venus de la Manche et de la mer du nord, colportant rumeurs, peurs et ragots : dans les villages, tout se sait, ou peu s’en faut, tandis que le meurtrier continue de sévir. Le flic Morge sur ses talons. Curieusement, il y a aussi ogre dans son nom, un ogre suffisamment teigneux pour ne pas lâcher l’os qu’il a commencé à ronger.

Mais surtout, il est question d’amour dans ce roman, des difficultés à le dire, à le vivre, parfois l’éblouissement à le faire, fût-ce sans amour. La question centrale étant : jusqu’où peut-on aller par amour ? Médée fait allusion à la mythologie grecque, les différentes formes d’amour répertoriées par les anciens sont aussi présentes chez les personnages du roman : Éros, bien sûr quand il est impulsif et charnel, Storgè, moins impulsif, qui se forge avec le temps, et qui peut exister entre un humain et un animal, Philia, cet « amour sans ailes » qui se forge quand naît une amitié, Agapè, cet amour que l’on a pour une personne, un animal, une nature, une divinité, présent dans toute société humaine. Il n’est pas passionné, même ceux qui aiment de cette manière sont prêts à se séparer de la relation pour le bien de l’être cher…

Peut-on éprouver de la sympathie pour Vermeer le marinier sans prénom, dont on sait d’entrée de jeu dans le roman qu’il est le ravisseur des enfants, ou pour Morge, le flic taiseux ? Il faudra attendre la toute fin de cette histoire, aussi glauque que l’eau des canaux du nord pour se forger une opinion.

Un polar sombre, lent, truffé d’allusions littéraires, qui interroge sur l’humaine nature. Descriptions et dialogues s’enchaînent, les chapitres semblent ne pas avoir de suite logique, alors que tout se met en place, menant inexorablement Morge et le lecteur vers le tragique dévoilement. À découvrir.

https://magazine-desauteursdeslivres.fr/la-medee-de-benoit-chavaneau/?fbclid=IwAR33YxRfEs8CivQaDGtC898RsUpXvLJ4aZ_JbTRWYyoZLlxlZ2iYcrALIkQ

Chronique de Julie-Anne de Sée : Facebook
Photo Nathalie Jaussaud Obitz

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