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Y-a-t-il un Eventreur au Petit Palais ?

SICKERT ETAIT- IL JACK L’ EVENTREUR ?

Walther Sickert ,un impressioniste anglais sans grand talent mais tout de même adoubé par Blanche et Monet, est exposé en ce moment au Petit Palais de Paris mais, je pense que personne n’irait découvrir ces toiles sombres s’il n’y avait autour de Sickert l’aura sanglante de Jack L’éventreur.

Sickert a largement profité , a posteriori, de la publicité accusatrice de Patricia Cornwell ( Jack l’éventreur : affaire classée, Livre de poche 2004) , laquelle s’est totalement libérée des contraintes de l’alibi pour épiloguer : sur l’ADN (fantaisiste) du tueur , sur l’analyse graphologique et technique des lettres envoyées à la presse, sur l’étude d’une toile obscure du peintre « Meurtre à Camden ».

L’ouvrage de Patricia Cornwell se veut aussi efficace qu’un de ses thrillers : en fin de « roman », l’héroïne (ici l’auteur) assène ses arguments avec l’assurance d’un « procureur» moderne de série télévisée : l’affaire est classée, Elle a trouvé LE coupable. Et il s’appelle Walter Sickert, peintre impressionniste, obscur, cynique et antipathique.

Les arguments majeurs de Cornwell se résument en 4 points :

– Sickert aurait été un fervent usager des pubs et des prostituées du Whitechapel (mais on n’a aucune preuve qu’il ait jamais rencontré l’une des cinq victimes canoniques) et il s’intéressait plus franchement aux jeunes garçons qu’aux prostituées défraîchies de l’east End.

– Il aurait usé du même papier à lettre que celui de plusieurs lettres envoyées à la presse or ce papier à lettre est relativement courant, comme le reconnait Cornwell elle-même , et même moi j’en possède plusieurs feuillets.

– L’écriture de Sickert serait graphologiquement identique à celle de plusieurs desdites lettres. Mais que Sickert se soit, peut être, amusé à envoyer des lettres à la presse, comme des dizaines d’autres mythomanes, ne fait pas nécessairement de lui le tueur. De plus, quelle valeur accorder à la graphologie si le tueur, aussi intelligent que pouvait l’être Sickert, a contrefait son écriture pour en faire la graphie d’un tueur sanguinaire et dégénéré. De toutes les sciences criminelles, la graphologie est sans doute celle –avec la psychiatrie- qui prête le plus à controverse.

– Carte maîtresse de Cornwell : un fragment d’ADN mitochondrial trouvé sous le timbre d’une des lettres envoyées à la police (Lettre dite « d’Openshaw ») serait susceptible de correspondre à celui de Sickert. Mais en exploitant le même fragment d’ADN, avec les technologies les plus modernes, un expert australien, le Docteur Findlay, travaillant pour la police et la justice de son pays, aboutit à une conclusion nettement moins formelle. Selon lui ledit ADN pourrait être celui…d’une femme ! Dans son ouvrage, Cornwell concède que le fragment d’ADN analysé pourrait bien correspondre à 1% de la population britannique de l’époque (40 millions de personnes en 1901) soit 400.000 suspects potentiels ! Le docteur Findlay rappelle d’ailleurs que si l’ADN mitochondrial peut désigner une personne, il peut aussi bien correspondre à toutes les personnes de sa famille (parents, enfants, oncles , tantes etc… ) Enfin, quand bien même le fameux ADN serait bien celui du peintre Sickert, rien ne prouve, une fois encore, que l’auteur de telle ou telle lettre anonyme est bien l’éventreur, c’est pourquoi votre serviteur les a quasiment toutes écartées de son travail sur Jack.

– Sickert aurait peint une toile « Meurtre à Camden » qui rappellerait la seule scène de crime dont nous ayons des photos : celle de Kelly. Mais il n’y a rien vraiment dans la fameuse toile qui rappelle la boucherie dont Kelly fut la victime, même avec de l’imagination… Le titre même de la toile ne signifie rien puisque Sickert, comme l’explique Jenny dans ma fiction « Jacks », avait coutume de changer le titre de ses toiles suivant l’endroit où elles étaient exposées… Ainsi la fameuse toile « Meurtre à Camden » s’est appelée  » Mais comment allons nous faire pour payer le loyer ? » lors d’un salon à Brighton !

– Sickert aurait eu une fistule au pénis qui l’aurait rendu impuissant et haineux envers les femmes. Mais le docteur Alfred Duff Cooper du St. Mark’s Hospital qui soigna Sickert était un spécialiste notoire des affections vaginales, anales ou rectales, tout semble donc indiquer que Sickert était atteint au niveau de son arrière train et non au niveau de son service trois pièces. Quant à cette prétendue infertilité du peintre, elle est totalement contredite par son ami français, le fameux peintre Blanche qui parle de Sickert comme d’un « immoral avec une armada d’enfants dont la provenance est impossible à établir ». Mari adultère, Sickert était aussi désigné pour être le père d’un fils non reconnu, qu’il aurait conçu avec son hôtesse et maîtresse dieppoise Mme Villain. Et c’est sans s’attarder sur ce Joseph « Hobbo » qui prétendit être un autre bâtard du Maître… Bref Sickert multipliait les aventures charnelles, plus ou moins fécondes, « à voile et à vapeur », et ne s’en cachait point.

– Rien ne prouve que Sickert fut à Londres entre août et octobre 1888 , époque des cinq meurtres canoniques imputés à Jack . En tous cas plusieurs éléments prouvent sa présence en France en septembre 1888.

Bref, Sickert est un magnifique personnage de roman. Un homme intelligent, retors ( : il aimait changer les titres de ses toiles, suivant les lieux d’exposition et le public, pour en détourner l’interprétation, ce que semble ignorer Cornwell) qui fait volontiers penser à Hannibal Lecter, Mister Hyde, ou aux esthètes killers des feuilletons « Esprits Criminels »… Et la romancière y a été forcément sensible. L’homme l’a inspirée jusqu’à transformer ses pulsions d’auteur en certitudes de « chercheuse ».

Ce qui est agaçant, avec la thèse de Patricia Cornwell, c’est cette véhémence à faire de Sickert le coupable idéal, en n’instruisant son « affaire » qu’à charge avec des indices qui ne prouvent rien et feraient éclater de rire n’importe quel Perry Mason. Bref, la romancière a détourné l’Histoire avec un grand « H » pour en faire une histoire juteuse et très commerciale. Son « dossier », qui se lit comme un bon roman, doit être considéré comme tel.

Quant à l’exposition de Sickert au Petit Palais … Il vaut mieux aller frémir face à Füssli au Musée d’ Orsay, à mon humble avis.

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